Tai chi chuan : précision technique, justesse du geste et spontanéité

Technique, geste et spontanéité

Une bonne technique est indispensable à la pratique d’un tai chi chuan de qualité. Cependant, la technique seule ne suffit pas. Le débutant est d’abord confronté aux difficultés de mémorisation. Le pratiquant intermédiaire se soucie ensuite de la précision technique. L’élève avancé recherche finalement la sensation et le geste juste. Le maître, par contre, tente d’oublier tout ce qu’il a appris à propos du mouvement, de la respiration, de la circulation de l’énergie. L’adepte, quant à lui, ne se soucie ni de maîtrise, ni d’aura, ni de puissance intérieure.

Habiter le geste

La technique (alignement, coordination, trajectoire) permet de répéter les mouvements en protégeant le corps. Une pratique intense de mouvements désordonnés disperse l’énergie. Elle « éclate » le corps tout autant que la conscience. Si le manque de technique est une limite, l’obsession de la technique est un obstacle bien plus important. En effet, un geste correctement exécuté n’est pas nécessairement juste.

L’objectif de toute construction est l’habitation. Ce qui rend une maison ou une posture/un mouvement vivant c’est le fait qu’il soit habité. Parfois des gestes, en apparence bizarres ou maladroits sont en fait infiniment plus justes. Ceux-ci répondent non pas à une technicité extérieure mais à une nécessité intérieure. Ils permettent à l’énergie de se frayer un chemin et de circuler ainsi plus librement.

Éveiller la perception plutôt que de vouloir tout contrôler, tout maîtriser, tout comprendre, telle est la voie du tai chi chuan.

Les vertus de la répétition

La pédagogie traditionnelle accorde une place de choix à la répétition. La répétition clarifie les perceptions, polit les liaisons, actualise les potentialités, stimule les flux. Pour la tradition, il est préférable de creuser indéfiniment les mêmes paroles, les mêmes gestes plutôt que de multiplier indéfiniment des paroles et des gestes creux. La répétition confère plus de réalité au geste, lui octroie un surplus de densité. Recréation perpétuelle, elle permet d’une manière paradoxale d’échapper à l’automatisme.

L’Occident moderne a banni la répétition, l’apprentissage par cœur : « apprendre sans comprendre, quelle absurdité ! » Pour la psychanalyse, la répétition appelée compulsion est un symptôme morbide. En exigeant constamment du neuf, de l’inédit, de l’extraordinaire, du sensationnel, nous sombrons dans la pire des banalités.

Perception et action

La sensation constitue l’un des fondements du travail interne en tai chi chuan. Elle ne représente pourtant qu’un moyen. Sentir n’est pas une motivation en soi. La perception est le soubassement d’un mouvement plus juste. L’énergie du tai chi chuan se déploie dans l’action. Trop souvent, le pratiquant prenant conscience de la perception, oublie l’action. La perception devient l’élément clef. Quand il mange, il est attentif au goût, à la texture des aliments. Quand il marche, il se questionne sur la position de ses pieds, sur les mouvements de son bassin. Tout cela est important. Néanmoins, il y a un temps pour ressentir et un temps pour manger et marcher tout simplement : rien de plus et rien de moins.

Adhérer au réel

Notre pratique du tai chi chuan vise à faire de nous des « êtres humains authentiques » tellement ordinaires que nous en devenons extraordinaires. Nous ne sommes ni des héros, ni des philosophes, ni des stratèges. La libération progressive des entraves nous permet un meilleur ajustement aux choses, une meilleure adhérence au réel.

Édito revu Espace Taiji n° 74

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Crédit photo : Almereca