Sur la piste animale
Nul n’existe sans laisser de traces. Pister, alors est une manière sûre de connaître quelqu’un. À travers les récits de ses expériences de pistage, Baptiste Morizot nous invite à voir par les yeux des grands prédateurs qu’il rencontre. À partir du terrain, le pistage devient philosophique : il se transforme en une pratique de la sensibilité, en la recherche d’une autre qualité d’attention. C’est une expédition vers des contrées inexplorées : nos relations au vivant et à nos animalités intérieures 4ème de couverture.
Extrait pp.128-137
C’est qu’il arrive parfois de sentir que l’on est devenu l’animal – c’est comme si vous pouviez sentir les mouvements du corps de l’animal dans votre propre corps. Cette aptitude joue un rôle décisif dans la transformation de nos rapports au monde vivant (…) passer d’une espèce à l’autre, cela ne peut pas se faire spontanément et sans effort, car l’écart entre les formes de vie implique un changement de perspective sur le cosmos (…) le monde est composé d’une multiplicité de points de vue : tous les existants sont des centres d’intentionnalité, qui appréhendent les autres existants selon leurs caractéristiques et puissances respectives (…)
Le point fixe du déplacement qui caractérise l’expérience du pistage, c’est le corps : on ne voyage pas hors du corps, et il n’y a personne pour voyager hors de lui. Il n’y a que du corps. Mais ce n’est pas le même que celui des naturalistes : le corps matière véhicule de l’esprit désincarné (…) La spécificité du corps fait saillir des types d’invites particulières dans l’environnement qui nous entoure (…)
Dans la métamorphose du pisteur, ce sont les invites de l’animal (…) qui nous animent parfois, lorsque l’on s’est rendu disponible (…), il ne s’agit pas de se déplacer dans l’esprit d’un autre, mais dans son corps : c’est son corps avec ses puissances de voir et de faire propres qui fonde sa perspective sur le monde (…) Il s’agit d’activer en soi les pouvoirs d’un corps différent, c’est-à-dire d’accéder aux invites propres à un autre corps (…)
Le pistage perspectiviste s’intéresse au vivant en cherchant, non pas son nom latin d’abord, mais les pouvoirs originaux de son corps, ses perspectives, les problèmes vitaux qui lui sont propres (…) ses relations écopolitiques fondatrices avec les autres vivants (…)
L’originalité du néo-naturaliste (…), c’est qu’il sait que son art est un art tissé de puissances animales qu’il retrouve et réactive en lui, qu’il retrouve hors de lui (…) Le naturaliste classique est obnubilé par la classification du vivant, le néo-naturaliste s’intéresse à la cohabitation entre vivants. (…) Plus qu’un art de voir, c’est un art d’imaginer.