Résonance - Une sociologie de la relation au monde
Si l’accélération constitue le problème central de notre temps, la résonance peut être la solution. La qualité d’une vie humaine dépend du rapport au monde, pour peu qu’il permette une résonance. Celle-ci accroît notre puissance d’agir et, en retour, notre aptitude à nous laisser » prendre « , toucher et transformer par le monde. Soit l’exact inverse d’une relation instrumentale, réifiante et » muette « , à quoi nous soumet la société moderne.
Tout en analysant les tendances à la crise – écologique, démocratique, psychologique – des sociétés contemporaines, Hartmut Rosa, au travers sa théorie de la résonance, renouvelle de manière magistrale le cadre d’une théorie critique de la société.
Extraits
Le processus d’accélération peut aussi se comprendre comme une implacable tendance à l’escalade due au fait que la formation sociale de la modernité ne peut se stabiliser que de manière dynamique. Cela signifie ceci : la société capitaliste moderne doit sans cesse s’étendre, croître et innover, accroître la production et la consommation, multiplier les options et les perspectives d’intégration, bref : elle doit s’accélérer et se dynamiser afin de se reproduire tant structurellement que culturellement et maintenir ainsi son statu quo (…)
Cette dynamisation implique une transformation radicale de notre rapport à l’espace et au temps, aux personnes et aux choses qui nous entourent et finalement, à nous-mêmes, à notre corps et à nos propres dispositions psychiques.
C’est ici que l’accélération devient un problème : une contrainte d’accroissement n’ayant ni but ni fin finit par entraîner, pour les sujets et la société dans son ensemble, une relation déréglée, voire pathologique au monde. Ce dérèglement s’observe aujourd’hui tout particulièrement dans les grandes tendances à la crise qui traversent notre monde contemporain : la crise dite écologique, la crise démocratique et la « crise psychologique », qui se manifeste par exemple dans l’augmentation du nombre de burn-out. La première crise signale un dérèglement du rapport entre l’homme et son « environnement » non humain ; la deuxième, un trouble de la relation au monde social ; la troisième, une pathologie dans le rapport subjectif à soi (…)
Ma thèse est la suivante : tout, dans la vie, dépend de la qualité de notre relation au monde , c’est-à-dire de la manière dont les sujets que nous sommes font l’expérience du monde et prennent position par rapport à lui, bref : de la qualité de notre appropriation du monde (…)
Ce n’est pas la richesse de nos ressources et de nos options qui fait que notre vie est réussie en elle-même mais, aussi banal ou tautologique que cela puisse paraître, le fait que nous l’aimions – qu’un lien véritablement libidinal nous attache à elle. « Elle », c’est l’ensemble des personnes, des espaces, des tâches, des idées, des choses et des outils qui croisent notre chemin et auxquels nous avons affaire. Dans ce lien d’amour, quelque chose comme une corde se met à vibrer entre nous et le monde (…)
Aux personnes malheureuses ou dépressives, le monde semble morne, vide, hostile et terne et leur propre moi leur apparaît froid, mort, figé et sourd. Les axes de résonance entre le moi et le monde restent muets. Ne faut-il pas en conclure a contrario qu’une vie réussie se caractérise par des axes de résonance ouverts, vibrants, palpitants, qui parent le monde de sons et de couleurs et donnent mouvement, sensibilité et richesse à notre propre moi ? (…)
En bref, la relation au monde ne saurait se définir en soi par le type d’activités ou les domaines d’objets qu’elle met en jeu, mais seulement par l’attitude au monde et l’expérience du monde qu’elle implique. La formation et le maintien ou non d’axes de résonance constitutifs dépendent premièrement des dispositions (physiques, biographiques, émotionnelles, psychiques et sociales) du sujet, deuxièmement de la configuration institutionnelle, culturelle, contextuelle et physique des fragments de monde en jeu et troisièmement, du type de relation existant entre entre les deux.