Pour un tai chi chuan contemporain
Ici et maintenant
En tai chi chuan, comme dans d’autres techniques de centration, l’essentiel se résume en deux mots : « ici et maintenant ». Creusons tout d’abord la portée d’une telle formule. Cette injonction nous invite en fait à être présents. Cette présence nous rend en fait plus conscients de nous-mêmes, plus attentifs aux autres, plus reliés au monde environnant. Elle nous libère en outre des regrets du passé ou des appréhensions du futur. En étant plus vigilants, nous devenons également plus efficients. Le tai chi chuan, par son mode opératoire, favorise notre insertion dans l’espace et dans le temps. Ses exigences techniques mobilisent corps, âme et esprit dans leurs moindres recoins afin d’adhérer plus complètement à la situation.
En quête du geste juste
Cependant, dès que l’on quitte le domaine de la pratique et que l’on aborde les questions de théorie et de contexte, on sombre rapidement dans le culte du passé et de l’ailleurs. Nombre de pratiquants inventent un passé idéalisé et bâtissent un Orient fantasmé. L’« ici et maintenant », tout à coup, perd toute sa valeur. Seule compte la forme originelle, l’avis du pratiquant asiatique – quelle que soit sa compétence – prévaut.
Dans l’«ici et maintenant», les gestes du pratiquant de tai chi chuan expérimenté sont petits, infimes, subtils, discrets. Médiatisés, les discours présentant ces « prouesses » et leurs auteurs sont souvent ostentatoires, amplificateurs, superlatifs. L’attrait pour le spectaculaire force la visibilité, fabrique de la « beauté » et des « chefs-d’œuvre » en série.
Dans l’«ici et maintenant», le tai chi chuan est une recherche du geste juste. Une recherche est une quête, une aventure, une voie,… pas un aboutissement. Une recherche engendre et nourrit des questionnements, elle n’apporte pas de certitudes. Toute recherche comporte des détours, des expérimentations, des tâtonnements, des ratages, des ébauches.
Intégrer et faire fructifier l’héritage
Dans mon approche du tai chi chuan, je me suis appuyé sur le passé, je me suis efforcé de l’intégrer. Je le reconfigure pour participer à la construction de l’avenir. J’ai fait le détour par l’Extrême-Orient et je suis revenu en Occident. Pour moi, chaque époque est une grande époque et que chaque lieu est un haut lieu. Au niveau intellectuel, je ne propose pas de postures mais des positionnements, des repères toujours en évolution et en transformation, pas de théorie mais un essai de théorisation.
Je n’invoque pas de grands noms (Yang, Chen, Sun), ni de grandes généalogies (Xème génération) ni de grands titres (Grand Maître, Champion du Monde). Je me place dans une lignée d’héritiers. Dans le domaine traditionnel, un héritier reçoit un héritage parce qu’il a du talent, parce qu’il a en-vie, parce qu’il travaille dur. Cet héritage, je m’efforce de le faire fructifier en y ajoutant des ingrédients de l’Occident contemporain. Son intégration de et dans l’Occident contemporain représente, je pense, une valeur ajoutée.
Montrer sans artifice et questionner
Je suis un pratiquant, un chercheur, un enseignant. Je ne suis ni un démonstrateur, ni un animateur de foire, ni un commerçant, ni un publiciste. J’aime pratiquer et transmettre, montrer pas démontrer, susciter le questionnement plutôt que d’asséner du prêt-à-penser.
Je transmets depuis plus de 30 ans les aspects pratiques et philosophiques du tai chi chuan dans des cours, stages et modules de formation. Fin 2010, j’ai pris la décision de partager mon expérience du mouvement par l’intermédiaire de vidéos en ligne (YouTube). Ces vidéos sans artifices (une seule prise en bermuda et t-shirt) présentent les choses en train de se faire, comportent quelques flottements et hésitations. Elles privilégient le ressenti. La technique est au service de la perception du souffle et de l’inspiration. Mon seul souhait est que ces images aident les pratiquants et les inspirent dans leur cheminement.
Édito revu Espace Taiji n° 80
Crédit photo : Almereca