La prothèse et le droit

La prothèse et le droit

Présentation

Grâce au développement de technologies de plus en plus complexes susceptibles de s’immiscer dans l’organisme, corps et artéfacts semblent en passe de connaître un degré d’hybridation jamais atteint jusqu’alors. Certaines technologies prothétiques émergentes, comme les bio-implants ou les puces électroniques, sont incontestablement de nature à bouleverser nos représentations du corps humain, si ce n’est notre nature anthropologique elle-même. À ce titre, ces technologies sont à la source de nombreuses inquiétudes et nourrissent, dans le champ juridique et éthique, un très vif débat qui se situe principalement sur le versant politique de la réglementation et de la gouvernance.
Les recherches de Christophe Lazaro abordent d’un point de vue interdisciplinaire la question de l’autonomie et du pouvoir des individus à l’ère des Big data, des prothèses et des environnements dits intelligents 4ème de couverture.

Extraits pp. 64-78

1. Extension : la figure de l’anthropos

Pour le philosophe P. Sloterdijk, si la « prothétique » a commencé comme inclusion ou adjonction de corps étrangers sur le corps humain, son aboutissement n’a lieu qu’au moment où « elle crée des corps d’extension qui non seulement réparent les vieux corps, mais en augmentent les capacités et les transfigurent » (…)

U. Ecco propose une typologie des prothèses contemporaines en trois catégories : les prothèses classiques dites substitutives, destinées à remplacer un membre ou un organe (le membre artificiel, le pacemaker, etc.) ; les prothèses extensives, prolongeant l’action naturelle du corps (le mégaphone, l’habit qui renforce l’action protectrice de la peau) ; et les prothèses multipliantes qui présentent des qualités nettement supérieures à celles du corps (le levier, le télescope, le microscope, etc.). Il précise en outre que les prothèses relevant des deux dernières catégories peuvent faire l’objet d’une application interne ; à ce titre, elles sont dites intrusives.

On peut alors distinguer les prothèses extensives-intrusives comme les instruments médicaux permettant d’explorer une cavité immédiatement accessible et les prothèses multipliantes-intrusives comme les divers dispositifs d’imagerie médicale. (…)

À l’heure de la technisisation globale de la société, la prothèse deviendrait l’instrument métaphorique pour souligner l’hybridité constitutive de l’homme et l’étroite relation qui unit l’homme à son environnement technologique.

2. Hybridation : la figure du cyborg

Pour certains auteurs, lorsque cette relation devient à ce point intime que les technologies pénètrent dans le corps pour fusionner avec lui, l’être humain devient cette créature à laquelle nous ont habitué les romans et les films de science-fiction : le « cyborg », organisme cybernétique fait d’un assemblage complexe de biologique et de machinique. Cet ultime avatar prothétique sert depuis quelques années de modèle épistémologique en sciences sociales pour penser les questions d’identité et de subjectivité dont les frontières semblent remises en cause par les technologies contemporaines (…)

Dans la perspective de Haraway, il est aujourd’hui nécessaire de procéder à des déconstructions à grande échelle (…) et de nous débarrasser des perspectives héritées des générations précédentes (…) Plutôt que de s’effrayer devant les entités les plus dérangeantes produites par la technologie, il faut trouver des liens de parenté avec ces entités synthétisées et recombinées qui surgissent de plus en plus dans notre environnement (…) l’originalité des réflexions de cette auteure réside dans le fait qu’elle utilise l’idée de transformation corporelle inscrite dans le concept de cyborg, moins dans le sens d’une augmentation des performances de l’humain que dans le sens de l’affirmation d’une différence.

Le concept de cyborg lui permet de suggérer une nouvelle manière de penser les corps dominés, normalisés et exploités, tout en se détachant, d’un côté, de toute référence à une nature essentielle, de l’autre, d’une conception du cyber-organisme qui se réduirait à la figure virile et patriarcale d’un surhomme aux capacités démesurées (…)

3. Salvation : la figure du transhumain

Avec l’apparition de dispositifs de plus en plus complexes s’immisçant dans les replis de la chair, s’enchevêtrant dans les tissus sanguins et nerveux, régulant l’organisme, la prothèse et le corps semblent en passe de connaître un degré d’hybridation jamais atteint jusqu’alors. La sophistication prothétique modifie ainsi notre représentation du corps et autorise certains auteurs, non plus seulement à évoquer, mais à revendiquer un corps modifié (…) De manière générale, l' »homme-machine », l' »homme augmenté », pour eux, est moins une figure épistémologique qu’un véritable projet à réaliser.

Plus particulièrement, le transhumanisme a acquis ses assises en développant une façon de penser qui met au défi la prémisse suivante : la nature humaine est et devrait rester essentiellement inaltérable. Pour les transhumanistes, l’humanisme classique est désormais dépassé (…)

Dans cette perspective post-évolutionniste, les transhumanistes postulent que l’espèce humaine n’a pas atteint son état définitif (…) Ce postulat donne à l’homme la possibilité de se transformer en s’enrichissant de tous les apports des nouvelles technologies et , par là-même, de se façonner un corps préservé de la souffrance et de la maladie : garantir l’immortalité du corps (et de l’esprit) , le transformer, le réécrire, le construire, améliorer l’humain et ses performances intellectuelles et physiques, bâtir une société nouvelle dans un âge d’or de richesse et de paix … en d’autres termes, atteindre la condition posthumaine ou, comme la définit R. Kurzweil, la singularité.

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