Entrer dans la forme - oeuvre exemplaire - union du corps et de l'esprit

Entrer dans la forme

En taijiquan, tous les pratiquants font des formes ; quelques-uns entrent dans la forme, celle qui moule le corps et révèle l’esprit. L’artiste fait et, en faisant, invente la manière de faire. Son style inimitable devient exemplaire, son approche unique se révèle paradigmatique.

On fait des formes lorsque l’on suit aveuglément les règles, ou que l’on refuse stupidement celles-ci, ou encore lorsqu’on les ignore superbement. On entre dans la forme lorsque l’on retrouve l’efficacité opératoire de la règle.

L’adepte n’applique plus la règle dans sa formulation normative, mais l’adopte dans son efficacité opératoire. Ne la considérant plus comme une norme, il retrouve comment elle agit sur lui et sur les autres. Il ne présuppose pas les principes du taijiquan, il les réinvente.

Trouver son propre style

Lorsqu’il répète ses formes, le pratiquant ordinaire les considère comme des formules. Pour lui, les préceptes tiennent lieu de recette et le style est une estampille. L’imitation rime alors avec servilité, mécanisation et standardisation. La vie n’habite pas de telles formes, car la puissance de sollicitation est convertie en statisme. Lorsque l’imitation prend conscience de l’unicité du modèle et que le novice s’inspire de celui-ci pour trouver son propre style, alors la démarche devient créatrice.

Imiter signifie alors s’engager sur le chemin qui mène au cœur de l’art. L’apprenant saisit peu à peu le rythme de chaque forme, se laisse toucher par son dynamisme interne, s’ouvre à son esprit. Il s’en rend maître au point d’en savoir transférer l’efficience à de nouveaux apprentissages. Le pratiquant véritable ne refait, ni ne contrefait ; il reproduit le processus opératoire non dans sa perfection immobile, mais dans sa dynamique agissante.

La liberté par la discipline

L’élève s’élève lorsqu’il se connecte à l’élan propre, à la vigueur intime de la forme devenue œuvre exemplaire, lorsqu’il fait l’expérience du ravissement propre à l’inspiration. La compréhension dépasse alors le domaine du psychique ; elle entre dans la sphère du pneumatique.

C’est en imitant le maître que l’élève se découvre ; c’est au travers des autres que l’on apprend à être soi-même. La seule voie qui mène à l’originalité est celle de l’imitation. Le pratiquant accède à la maîtrise lorsque la discipline se transmue en liberté. La discipline intérieure caractérisée par une grande exigence résulte de cette discipline première et extérieure exigée par la forme et par le maître.

La perception du souffle et la maîtrise de l’énergie sont toujours le fruit d’une période d’étude rigoureuse. Refuser la discipline que réclame une pratique authentique, c’est se barrer la route qui mène à la « vraie liberté » en lui préférant une « liberté apparente » qui conduit à la servitude.

Trouver la Forme

En tai chi chuan comme ailleurs, il n’y a pas de conquête sans effort. C’est en acceptant les formes que l’on devient capable de les inventer. L’habileté de l’artiste ne consiste pas en aptitude et virtuosité, mais en maîtrise et talent. Lorsque le talent est maîtrisé, point n’est besoin de recourir à l’astuce, à la malice ou à l’artifice. Le grand art, ne serait-ce pas l’art de cacher l’art ?

Lorsque le corps s’est accordé, que le cœur s’est ouvert et que le regard s’est fait voyant, l’adepte voit la forme comme forme. Il peut alors accéder au cœur de l’art. L’accès à la Forme dépend de la formation du pratiquant, de son attitude respectueuse, de sa spiritualité. Il faut beaucoup d’humilité pour réussir à faire parler la Forme et beaucoup de travail pour comprendre ce qu’elle nous dit. Ainsi la Forme peut demeurer cachée pendant des décennies, voire des siècles avant de trouver un regard qui sache la voir, une sensibilité qui soit capable de l’accueillir,  un esprit qui puisse vibrer à son diapason.

Édito revu Espace Taiji n° 78

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Crédit photo : Georgette Methens -Renard