Le tai chi chuan un art modeste - Virtuosité sans recherche de performances

Le tai chi chuan un art modeste - Virtuosité sans recherche de performances

Le tai chi chuan est un art modeste

Tout d’abord, un art modeste préfère la retenue à l’épanchement. Le tai chi chuan, art modeste, cultive donc la modération, la simplicité et l’humilité. Dans l’absence de faste, cet outil de transformation intérieure nous éloigne en fait du néfaste. S’il nous aide à lever nos inhibitions, doit-il pour autant devenir exhibition ? S’il nous permet de mieux nous connaître doit-il pour être connu se transmuer en performance ?

Loin de la toute puissance et de l’obscènité

Pratiquer « la boxe du faîte suprême », enseigner « l’art du grand ultime », devenir un virtuose du qi engendre toutefois chez des individus fragiles un sentiment de toute puissance.  Le langage superlatif est par ailleurs dans l’air du temps. L’ère du « Super Tai chi » transmis par « Les Plus Grands Maîtres » aux « Disciples Élus » participe ainsi de ce discours du grand. Ce discours ostentatoire est donc caractérisé par l’exagération, l’outrance et l’amplification. Notre société survalorisant l’événementiel use et abuse de l’emphase et de la grandiloquence. Pour François Laplantine, le discours du grand est un discours d’appropriation. Ce discours prédateur vise à capter, à capturer. Pour lui, tout exposer, tout dire est falsificateur tout autant qu’obscène.

Aujourd’hui les sons assourdissants et les couleurs aveuglantes  rendent inaudibles et invisibles les rapports que nous entretenons avec notre être intérieur. De même, les gesticulations inutiles rendent incompréhensibles les relations que nous entretenons avec les autres et avec la réalité.

Une approche tout en subtilité

Notre École favorise une approche du tai chi chuan tout en subtilité. Celle-ci développe une acuité du regard, de l’écoute, du toucher. Elle rend attentif aux transitions, aux gradations, aux infimes écarts. Elle invite à goûter le mouvement apparaissant, disparaissant, transparaissant. Les épousailles avec les minuscules transformations du sensible révèlent le caractère dérisoire du culte de la performance. Expérimenter l’envers de la performance, c’est accepter et valoriser les ratages, les détours, les désaccords. Cheminer sur cette voie, c’est esquisser de minuscules liaisons en comprenant ce qui se joue dans les failles et défaillances.

Les vertus de l’infinitésimal

Dans nos cours avancés, nous apprenons à régresser. Dans nos master classes, nous abandonnons l’idée de perfection. Nous délaissons le grandiose pour cultiver le petit, le peu, l’infinitésimal, le ténu, le transitoire. De petits liens fugitifs dans des passages infimes participent au frayage du souffle intérieur. Abandonnant l’arrogance des détenteurs de Vérité, nous devenons les adeptes de l’esquisse, de l’ébauche. Expérimentant et tâtonnant, revendiquant nos manques et maladresses, nous sommes convaincus de nous adonner à une œuvre à jamais inachevée.

Évoquant l’image de l’eau, le Daodejing affirme que le faible l’emporte sur le fort et le doux l’emporte sur le dur (chap. 78). Le tai chi chuan en a fait son mode opératoire. Comment adapter sans trahir ? Nous nous appliquons à faire du taijiquan un art modeste proposant des formes infiniment discrètes tendant vers le dépouillement.

Édito revu Espace Taiji n° 72

Article corrélé : Mythe, new age et marchandisation

Crédit photo : Almereca